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La vie des entrepreneurs : Interview de Denis Ettighoffer

Denis Ettighoffer est consultant en organisation et management spécialisé en management stratégique des technologies de l’information. Il est aussi expert en innovation dans de nouvelles formes d’organisations pour gagner en compétitivité. Il est l’auteur de plusieurs ouvrage consacrés à l’univers de l’entreprise : Du Mal travailler au Mal vivre avec Gérard Blanc, Editions Eyrolles, 2003, L’Entreprise Virtuelle, nouveaux modes de travail, nouveaux modes de vie ? réédité par les Editions d’Organisation, 2001, Mét@-Organisations, les modèles d’entreprise créateurs de valeur avec Pierre Van Beneden, Ed. Village Mondial, avril 2000 – Prix Turgot 2001, eBusinessGeneration, les micro-entreprises gagnent de l’argent sur Interne, Ed. Village Mondial, 1999, ou encore Le Syndrome de Chronos avec Gérard Blanc, Ed. Dunod, 1998 – Prix Rotary du Livre d’Entreprise.

1/ Après plusieurs livres consacrés à l’entreprenariat, vous sortez cette semaine un nouvel ouvrage « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » aux Editions DUNOD. Pouvez vous nous le présenter en quelques mots ?

Mon idée était de poursuivre mes analyses, parties des deux premiers dons des organisations virtuelles – l’ubiquité ou la déspécialisation des lieux de travail, l’omniprésence ou la dérégulation des temps qui ont fait l’objet de mes précédents ouvrages -, en m’attaquant au troisième don de l’entreprise virtuelle à savoir l’omniscience (ou la capacité à puiser dans tous les savoirs du monde).

L’affaire n’a pas été simple. Entrer dans ce monde numérique, c’est explorer les nouvelles formes de création de valeur, c’est s’interroger sur notre patrimoine intellectuel et les façons à la fois de le valoriser et de le protéger. C’est aussi analyser les nouveaux enjeux posés par la compétition entre nations pour s’emparer des ressources de matière grise et des réseaux savants nécessaires à l’économie des savoirs. Cette compétition ne sera pas moins âpre que celle que nous avons connue pour l’appropriation de matières premières ou la conquête de territoires.

Autant dire que j’ai longuement hésité à entrer dans l’analyse de fond des caractéristiques d’une économie des idées et des connaissances à bien des égards perturbantes. Ce qui m’a décidé en fin de compte, c’est l’importance de montrer et de démontrer les interdépendances complexes d’évènements affectant profondément – au point de remettre en cause le rôle de la monnaie et de la gestion des territoires traditionnels – de multiples écosystèmes socio-économiques. Avec pour résultat un livre dense où chaque chapitre illustre une facette des enjeux auxquels devront faire face les nations modernes, les nations savantes.

2/ Vous dites : « Nous voici entré dans une ère turbulente où nos repères traditionnels vont être bouleversés ». Quelles en sont les conséquences de ce changement d’ère sur l’entrepreneuriat et quels sont les nouveaux enjeux pour les entrepreneurs? Les entrepreneurs de demain, seront-il (ou devront-ils être) différents de ceux d’aujourd’hui ?

Il faut comprendre que nos nations s’engouffrent dans l’ère quaternaire, celle des nations savantes où la part des patrimoines immatériels peut être considérable voire plus important dans certains secteurs que les investissements dans les biens tangibles. Cela veut dire que les facteurs de compétitivité comparatifs vont bouger pour une part croissante de nos activités.

Les nations en pleine industrialisation nous vendent des produits low cost mais au prix d’une consommation de ressources considérables et coûteuses. Nos nations, elles, ont la possibilité d’utiliser la numérisation pour optimiser cette consommation. Pour nous, la valeur ajoutée – conjuguée – (car il s’agit de renforcer la coopération de nos gens savants) viendra de l’innovation, de la performance de nos grandes écoles, de notre capacité à transformer et vendre des connaissances. Comme dit le pêcheur « désormais, si pêcher et vendre mon poisson me rapporte deux dollars, montrer comment le pêcher me rapporte dix dollars ».

Cela veut dire aussi que nous devons inventer plus et savoir protéger et commercialiser mieux des savoirs que nous devons proposer, y compris par des services à distance. Ce qui implique que nous exportions plus de services en ligne et des contenus numériques, sources des nouveaux profits. Tout cela en outre est conditionné d’abord par notre capacité à disposer de nos propres réseaux de distribution électronique alors que nous dépendons trop d’infrastructures étrangères puis de disposer d’une fiscalité adaptée à l’économie immatérielle afin d’attirer sur notre sol les blocs de compétences les plus porteurs. Je pense notamment à ceux qui concernent d’une part les industries de la simulation et à ceux relatifs aux économies d’énergies rendues possibles par la substitution massive des biens tangibles par des biens numériques.

3/ Pionnier, vous annonciez déjà en 1992 l’émergence de L’Entreprise Virtuelle, et vous consacriez un livre à ce sujet. en 2001. Pouvez-vous expliquer aux créateurs, pourquoi cette virtualisation de l’organisation des entreprises est source de valeur ?

A l’avenir l’enjeu ne sera pas d’avoir la plus grande quantité d’ordinateurs et de technologies de communication. Elles sont accessibles à tous. C’est la qualité des organisations, l’efficacité globale, qui fera la différence entre les entreprises… et les nations! L’organisation permettant de tirer tout le parti possible des techniques de communication, celle de « l’entreprise virtuelle », s’appuie sur la mise en œuvre généralisée du principe de subsidiarité.

Autrefois à la question « qu’est ce qui crée le plus de valeur : une entreprise de 50 personnes ou cinq entreprises de 10 personnes ? On pouvait répondre celle de 50. Pourquoi? Parce qu’elle bénéficiait des « économies d’échelles » pour assurer un fonctionnement économique de l’ensemble des fonctions qui lui était nécessaire pour se développer. Aujourd’hui, au siècle des réseaux, sur des territoires numériques sans frontières, à la même question nous répondrions le contraire. Pourquoi ? Parce que le progrès des communications facilite l’externalité et le recentrage de chacun sur ce qu’il fait de mieux. Les cinq entités de cinq personnes organisées dans en réseaux pourront créer plus de valeur qu’un entreprise de 50 personnes en bénéficiant de l’effet club (des effets des ordres de grandeurs croissantes de la Macelfe). Ainsi les entreprises, qui s’organisent en réseaux et qui coopèrent, créent plus de valeur que celle qui n’y investissement pas, à la fois pour des raisons d’efficacité globale mais aussi pour faciliter les échanges d’idées et de savoirs.

Les réseaux permettent deux approches de la virtualisation. L’une où les groupes puissants cherchent à réduire les coûts en s’appuyant sur un groupe d’entreprises liées par un système d’information intégrateur qui les transforment en méta-réseaux. Ils seront en concurrence avec des organisations « virtuelles » associant elles des grappes d’entreprises fortement coopératives qui se battront plutôt sur la fourniture de services inédits aux clients que sur les prix et les caractères fonctionnels des produits. Pour s’adapter les entreprises doivent faire leur révolution grâce à la « désorganisation compétitive » provoquée par des « perturbateurs » et inventeurs de nouveaux types d’organisation comme Jack Welch et de modèles économiques spécifiques à la netéconomie. Dans le même temps se développeront des entreprises d’un type nouveau qui, n’ayant pas de souvenirs tayloriens, entreront de plain-pied dans l’organisation virtuelle qui n’est pas autre chose qu’une organisation de type fédéral. Aujourd’hui à l’ère de l’économie des connaissances, l’enjeu n’est plus de surinvestir dans les outils informatiques de coordination mais de modifier des organisations et des comportements qui facilitent la coopération, la collaboration, sources de fertilisation de la matière grise.

4/ Selon vous, quelles compétences faut-il pour entreprendre aujourd’hui et réussir demain ?

J’ai envie de vous répondre « les mêmes » mais en mieux ! En mieux c’est à dire valorisant la dimension créative que nous avons tous en nous. Je pense qu’il nous faut surtout préserver une grande curiosité et devenir des générateurs d’idées. Un homme savant sans imagination reste pour moi un infirme.

Notre pays, nos entreprises doivent comprendre comme le disait Richard Florida que « les hommes d’aujourd’hui ne veulent pas simplement aller là où il y a du travail mais aller là où l’on peut créer et imaginer ». Mais plus que des compétences, il faut des environnements favorables et c’est là un facteur préoccupant ici, en France. Nos savants, les gens entreprenants ont du mal à vivre et à développer leurs idées dans un pays qui favorise la rente et l’épargne plus que la prise de risque. C’est d’ailleurs une des raisons au fait que nos PME ou PMI ne sont pas suffisamment grandes.

De plus il y a un important déficit de connaissances dans une majorité de nos entreprises sur le rôle et l’importance de la financiarisation des savoirs, des brevets et des licences qui sont une partie du patrimoine du fond de commerce qu’il faut valoriser et protéger à la fois. Dans mon livre le chapitre « Alors combien tu vaux !? » aborde longuement la nécessité pour les dirigeants de s’ouvrir à ces nouvelles problématiques, ce qui revient bien à répondre à votre question « quelles compétences? Réponse: savoir combien on vaut à l’aulne de l’économie immatérielle et non plus simplement à celle du plan comptable classique.

5/ De manière générale, quels conseils donneriez-vous à un créateur qui souhaite lancer son activité ?

Il y a déjà bien des réponses qui ont été apportées à cette question qui reste trop générale. Mais une réponse au moins est nouvelle et deviendra universelle. Une part croissante des futurs gisements d’affaires se trouvera sur une sorte de planète numérique que j’ai désigné sous le nom de Netbrain. Il s’agit d’un cerveau planétaire où il convient de se tailler des parts conséquentes des marchés des connaissances à posséder en exclusivité. C’est là où se font déjà les meilleures ventes et les meilleures marges, et où se trouve un formidable dynamisme libérant l’initiative et l’inventivité. C’est là où se déploient des millions de micros activités en ligne et qui nous rappellent que dans la Toile « ce sont les petits poissons qui dominent la mare ».

Le créateur doit utiliser la Toile pour s’en faire un allié, un outil de la relation sociale et professionnelle: désormais à la spécialisation des territoires nous est opposé la spécialisation des réseaux. Malheur à celui qui ne saura pas y prendre sa place.

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